Chose promise chose due, sans attendre, voici notre deuxième entrevue avec Queensrÿche, laquelle ne fut jamais publiée. C’est juste pour vous faire patienter alors que je mets la touche finale à mon entrevue avec Daniel Mongrain. Je n’en dirai pas plus, sauf que le concept de cet album était génial. Malheureusement, musicalement, c’était assez bof. Alors voilà, bonne lecture!
Par Martin Guindon
Notre dernier entretien avec Queensryche remonte à il y a trois ans ou presque. Réalisée avec le batteur Scott Rockenfield, celle-ci n’a malheureusement jamais été publiée. On se reprend donc avec le chanteur Geoff Tate cette fois-ci. Le groupe a depuis sorti un nouvel album, AMERICAN SOLDIER. J’ai Geoff au bout de la ligne, le jour de leur concert à Montréal, en juillet. Je déteste faire des entrevues au cellulaire, parce qu’on a toujours du mal à bien se comprendre. Geoff marche dans les rues de Montréal, ce qui ajoute à notre difficulté à bien communiquer. Geoff peut paraître moins jasant que Scott ici, et il l’est sans doute. Scott et moi étions vraiment dans une zone, tout allait bien. Avec Geoff, c’était plus difficile, et c’est beaucoup à cause du foutu cellulaire, qui rend la communication tellement plus compliquée. En tout cas, je vous laisse lire la suite, donc, traduite par votre humble serviteur.
Geoff, vous avez sorti un DVD double live [MINDCRIME AT THE MOORE, 2007], qui reprenait votre spectacle à Seattle de la tournée pendant laquelle vous faisiez l’intégrale des deux albums MINDCRIME. Ça devait être toute une tournée!
Une excellente tournée, oui. On a fait beaucoup d’endroits dans le monde, devant différentes foules. Ce fut une superbe tournée. D’avoir la possibilité de faire ainsi les deux albums en spectacle, c’est un peu la façon dont il fallait que ça se fasse. Dans un monde idéal, MINDCRIME aurait été un album double. Donc, ce fut vraiment super de pouvoir enfin finir MINDCRIME II et de pouvoir jouer les deux albums l’un à la suite de l’autre, comme je l’avais imaginé dès le départ.
La même année, vous avez sorti un album de reprises, intitulé TAKE COVER [Rhino Entertainment, 2007]. On y retrouve du matériel assez diversifié. Pourquoi avoir fait un tel album et comment avez-vous choisi les pièces à reprendre?
Cet album était en quelque sorte de petites vacances pour nous, alors que l’on travaillait à l’écriture de AMERICAN SOLDIER. On avait besoin de prendre une pause et de faire autre chose pour un moment, pour prendre un certain recul face à notre matériel. L’idée était donc de travailler sur un album de reprises. On trouvait l’idée bonne; que ça ferait une belle distraction. Maintenant, la partie la plus difficile a été de choisir les chansons. On a tous des collections de disques assez vastes et variées. On a donc eu du mal à se limiter au nombre de chansons qu’on peut actuellement inclure sur un album. On a finalement chacun choisi quelques-unes de nos chansons préférées, au lieu de passer trop de temps à y penser. Ce fut vraiment un projet amusant à faire. Je crois que ça nous a pris deux semaines.
J’ai remarqué que depuis mon entrevue avec Scott, vous n’avez changé qu’un membre et c’est Mike Stone [guitare] qui a quitté le groupe. D’ailleurs, on a l’impression que vous avez connu beaucoup de changements de personnel depuis le début, sans doute en raison de toutes ces histoires avec Chris DeGarmo, mais dans le fond, vous êtes encore quatre des cinq membres originaux…
Oui, nous sommes toujours quatre des cinq gars qui étaient là en 1981 quand on a créé le groupe. C’est assez stable, en plus de 28 ans. L’affaire avec DeGarmo, c’est que quand il a quitté le groupe, on avait décidé de continuer à quatre et de garder la cinquième place dans le groupe pour des guitaristes invités. L’un des problèmes quand tu es dans un groupe comme ça pendant 28 ans, c’est que tu passes beaucoup de temps avec les mêmes personnes. C’est bon d’emmener une nouvelle personne à l’occasion, avec une perspective différente sur la musique du groupe. Ça peut apporter de nouvelles influences. On a eu le privilège de jouer avec Kelly Gray [1998-2001], qui est un vieil ami. Il y a ensuite eu Mike Stone [2003-2009], et maintenant c’est Parker [Martin : Lundgren, son gendre!]. Ça va très bien avec lui en ce moment.
Parlons du nouvel album, AMERICAN SOLDIER. Je vais être honnête et te confier d’entrée de jeu que je n’ai pas vraiment trippé sur vos derniers albums. Même MINDCRIME II m’a un peu laissé sur mon appétit. Mais celui-ci toutefois m’a réconcilié avec votre musique. Quelles étaient vos intentions sur cet album, musicalement?
Notre but premier était de raconter une histoire. Peindre une image musicale qui aiderait à faire passer les textes. C’est ce qu’on essaie de faire à chaque album, vraiment.
Quelle a été la réponse à ce jour, autant des fans que des critiques, pour l’album?
Tu sais… je ne sais pas vraiment. Je ne me tiens pas au courant de ces choses-là. Pour moi, la musique, c’est de l’art. Et l’art, c’est quelque chose d’absolument et de complètement subjectif. Ça touche les personnes de différentes manières. Certains vont le comprendre, d’autres vont l’adorer et d’autres non. Je ne m’attarde donc pas trop à ça. Je suis juste content quand quelqu’un aime ce qu’on fait, ça ne peut pas être une mauvaise chose. Mais qu’ils aiment plus ou qu’ils aiment moins le nouvel album, ça ne me dérange pas trop.
Il s’agit donc d’un album concept. Tu as réalisé des entrevues avec des vétérans de la guerre, ce qui a servi à inspirer les textes pour les chansons? Tu exprimes finalement leurs opinions, leurs émotions?
Oui, je raconte tout simplement leur histoire telle qu’ils nous l’ont racontée.
Comment as-tu eu cette idée? Est-ce que ça a un lien avec le fait que ton père était lui-même un militaire?
Tout à fait. J’ai grandi dans une famille militaire.
Il n’y a pas vraiment de biais politique ici…
Non, ce n’est pas un album politique. C’est vraiment un album à propos de l’expérience de certaines personnes. Comment elles ont vécu des situations incroyablement intenses. Comment elles vivent avec ça, comment elles y réagissent. Qu’est-ce que ça leur fait, quel impact ça l’a sur eux. La guerre, c’est quelque chose que tu portes ensuite en toi. Je parlais encore récemment avec mon père, par exemple. En grandissant, mon père ne m’a jamais parlé de ce qu’il a vécu à la guerre. Mais maintenant, alors qu’il approche les 80 ans, il est plus intéressé d’en parler et c’est frustrant un peu, pour moi, qu’il ait attendu aussi longtemps pour le faire. On explore ses sentiments sur la chose. C’est intrigant, pour moi, qu’il ait attendu comme ça. Mais selon mon expérience, en parlant à d’autres soldats comme je l’ai fait pour cet album, ils ont tendance à enfouir ces sentiments profondément en eux pendant des années, jusqu’à qu’ils soient prêts à en parler un jour. Ces sentiments refont alors surface…
En grandissant, mon père ne m’a jamais parlé de ce qu’il a vécu à la guerre. Mais maintenant, alors qu’il approche les 80 ans, il est plus intéressé d’en parler et c’est frustrant un peu, pour moi, qu’il ait attendu aussi longtemps pour le faire
As-tu obtenu des réactions de soldats, de vétérans… qui ont écouté l’album?
Oui, on reçoit des messages de partout dans le monde. On en reçoit de soldats qui sont actuellement basés en Afghanistan ou en Irak. On en reçoit aussi de vétérans, de soldats à la retraite. Ils nous envoient des commentaires. Il y un élément que je trouve très intéressant. Il semble que l’album serve de bougie d’allumage pour des discussions, surtout dans des familles militaires, où justement on n’avait pas l’habitude de discuter de ces expériences. Des soldats donnent carrément l’album à leur père, leur mère ou leurs enfants et leur disent : «Voici ce qu’est la guerre pour moi». Et ça permet d’amorcer des discussions sur le sujet, quelque chose qui n’était jamais arrivé auparavant dans ces familles. On reçoit des lettres avec de telles histoires. On nous remercie d’avoir fait cet album et d’avoir raconté ainsi leur histoire. Ce genre de commentaire nous ramène les deux pieds sur terre.
Comment aviez-vous choisi ces soldats, ces vétérans, pour les entrevues?
C’était surtout du bouche-à-oreille. On rencontrait des gens, qui nous mettaient ensuite en lien avec d’autres personnes qui pourraient aussi être intéressées à livrer leur témoignage. Dans la préparation de l’album, c’est la partie des entrevues qui a été la plus longue. C’est un projet qui s’est étendu sur trois ans, et il a fallu environ deux ans pour faire toutes les entrevues et colliger les réponses. Tu sais c’est quoi, faire des entrevues. Des gens sont plus difficiles à faire parler et il faut travailler fort pour obtenir des réponses, alors que d’autres déballent tout leur sac à la première question. Ce fut finalement une tâche assez difficile.
On entend même certains extraits des entrevues sur l’album. Certains sont vraiment touchants. Comme le premier gars qui parle dans la chanson «If I Were King», son témoignage fait tout simplement frissonner…
Et ce fut souvent comme ça. L’album s’est avéré tout un défi à réaliser à plusieurs niveaux. Tout le contenu était très émotionnel et devoir traiter avec ce type de sujet, ça finit par nous atteindre à un certain moment. C’est pourquoi on a senti le besoin de prendre une pause de quelques semaines, à un moment, pour faire cet album de covers. Faire l’album de covers, c’était plutôt facile. Rien à écrire, juste interpréter le travail admirable fait par d’autres. Ça nous a permis de décrocher de tout ça.
Sur cet album, j’ai remarqué que le noyau créatif semble tourner autour de Scott [Rockenfield] et toi, mais j’ai aussi vu que Damon Johnson et vos deux producteurs, Jason Slater et Kelly Gray, ont contribué à la composition?
Exactement. Cet album fut un plaisir à réaliser, malgré le défi, en raison de la façon dont on l’a écrit. On s’assoyait en studio, on écoutait les rubans des entrevues, et on ne pouvait s’empêcher d’être inspirés par ce qu’on entendait, vraiment. Les histoires qu’on entendait. C’est un peu comme écrire pour un film, quand tu te laisses inspirer par une scène pour composer un bout de musique. Les idées nous venaient naturellement. Tout le monde a contribué à sa façon, pour développer ces idées.
On s’assoyait en studio, on écoutait les rubans des entrevues, et on ne pouvait s’empêcher d’être inspirés par ce qu’on entendait, vraiment
Jason Slater était aussi impliqué dans l’écriture de MINDCRIME II, n’est-ce pas?
Oui. On aime bien travailler avec Jason. C’est un grand musicien, un excellent compositeur… un très bon collaborateur, finalement. Il est excellent pour travailler et mener une idée encore plus loin.
Est-ce que c’est la première fois que Michael Wilton fait toutes les guitares sur un album? On y retrouve de très belles parties de guitare et quelques solos vraiment ahurissants…
Oui, c’est la première fois qu’il les fait toutes sur un album, sans un autre guitariste qui joue avec lui. Il a fait un travail fantastique sur cet album. Il est bien branché sur le sujet de l’album. Il essayait de raconter l’histoire, mais musicalement. Il arrive parfois qu’on se laisse emporter par son propre ego et qu’on essaie d’en mettre trop, en bout de ligne, au point d’oublier l’âme de la chanson. Or, sur cet album, Michael a vraiment réussi à se laisser imprégner par l’histoire, de laisser la chanson parler. Il a écrit plusieurs «layers» de guitares, de tons et d’ambiances à la guitare, ce qui a beaucoup ajouté à l’émotion ou l’atmosphère de la chanson.
«Home Again» possède un texte assez touchant, mais ce qui ajoute vraiment à l’émotion, selon moi, c’est la participation de ta fille, Emily. Quel âge a-t-elle? Est-ce que c’est la première fois qu’elle chante ainsi avec toi, sur un album? A-t-elle l’intention de suivre les traces de son père?
Elle a 11 ans. C’est la première fois qu’elle chante avec moi en effet. Mais je ne crois pas qu’elle suive mes traces. Je ne crois pas qu’elle aime vraiment tout ça. Remarque, c’est encore une enfant. Elle préfère pour le moment jouer avec ses amies, aller à l’école, etc. Je ne crois pas qu’elle pense à faire le tour du monde avec un groupe à ce stade-ci de sa vie. Peut-être quand elle sera plus grande.
Comment t’es venue l’idée de l’impliquer dans cette chanson?
C’est curieux comment c’est arrivé, en fait. Je venais de terminer d’écrire la chanson et je l’écoutais dans le studio. Emily est arrivée de l’école et comme d’habitude, elle est venue voir au studio ce que j’y faisais. Je lui ai dit que je venais de terminer une chanson et je lui ai demandé si elle voulait l’entendre. Elle m’a dit oui. Alors, elle l’a écoutée, tout en lisant le texte, et une fois la chanson terminée, j’ai remarqué qu’elle avait les larmes aux yeux. Je lui ai demandé pourquoi elle pleurait et elle m’a répondu qu’elle trouvait que c’était une très belle chanson. Elle a ajouté qu’elle était contente que j’aie écrit une chanson à propos d’elle. Oh! Elle croit que la chanson parle d’elle! Oh wow! Je trouvais ça vraiment intéressant, alors je l’ai invitée à chanter avec moi sur cette chanson et elle a accepté. On a donc sorti un micro, elle a chanté cette partie… Je crois qu’on a fait seulement deux ou trois prises. Sa partie avec ce sentiment, cette fragilité… je ne voulais surtout pas perdre ça en faisant plusieurs prises. Je l’ai fait entendre à mon épouse [Martin : Suzanne, aussi gérante du groupe], qui l’a adorée. Le groupe l’a aimée, la compagnie de disques aussi. Ce fut donc une décision unanime.
Ça va vous faire un précieux souvenir, immortalisé comme ça sur CD…
Oui. Et en plus, elle fait la tournée avec nous et vient chanter sa partie pendant cette chanson chaque soir. Et la foule semble vraiment apprécier.
Et c’est ton père qu’on entend, dans l’intro de la chanson «The Voice»?
Oui. C’était spécial ça aussi.
Parle-nous maintenant de votre tournée actuelle. Vous jouez trois suites différentes, soit une avec des chansons de RAGE FOR ORDER [EMI, 1986], une autre avec des chansons de AMERICAN SOLDIER et une troisième avec des chansons d’EMPIRE? Wow, la partie de RAGE me jetterait carrément sur le cul. Ces chansons ne doivent pas être faciles à jouer live, certaines contiennent tellement d’éléments…
On a un claviériste en spectacle, Jason Ames, qui s’occupe de tout ça. Il est aussi troisième guitariste, en plus de chanter en back-up. Ça aide beaucoup à recréer certains éléments de cet album.
Est-ce que vous jouez des albums complets ou juste quelques chansons de chaque album?
On joue les albums complets sur deux soirs. On a deux set lists différents qu’on alterne. Toutes les chansons des trois albums sont comprises dans les deux set lists.
C’est une tournée mondiale?
Tant qu’on fait référence au monde dans lequel on tourne normalement, à savoir une trentaine de pays, oui.
Qu’est-ce qui se passe dans ta carrière solo?
Je planche actuellement sur trois albums différents. J’ai deux trames sonores de film, dont un dans lequel je tiens aussi un rôle. J’ai aussi un projet d’album solo. Disons que je me tiens occupé, mais c’est aussi la vie d’un musicien, d’écrire continuellement des chansons et de monter des groupes pour interpréter ces chansons.
C’est comment d’être à Montréal aujourd’hui? Tu y as habité, n’est-ce pas? D’ailleurs, l’album MINDCRIME n’a-t-il pas été écrit là-bas?
Exactement oui. Je viens juste de passer devant le bar où j’ai écrit cet album. C’est superbe aujourd’hui. Je marche d’ailleurs dans les rues de Montréal en ce moment avec mon épouse et deux de nos enfants. [Un bruit assourdissant se fait entendre] Ça, c’était un autobus au diesel [rires]. Ils produisent plus de décibels qu’on groupe rock, je crois.
Pour conclure, parle-nous brièvement de Insania.
Insania est ma marque de vin. On a sorti notre premier cru en février dernier et il s’est tout vendu en à peine deux mois. Notre deuxième cru va sortir en février pr7644ochain. On prépare aussi un vin blanc Insania cette année. C’est un Sauvignon de style Bordeaux. Notre rouge est en fait un Bordeaux qui est un mélange de quatre variétés de raisins [Cabernet Sauvignon, Petit Verdot, Merlot, Malbec].
Insania est ma marque de vin. On a sorti notre premier cru en février dernier et il s’est tout vendu en à peine deux mois
C’est tout Geoff. Un mot de la fin?
Merci pour l’entrevue, Martin. C’est bien apprécié. Espérons que l’on pourra se rencontrer un jour. Take care.
QUEENSRYCHE [2009]
Geoff Tate, voix
Michael Wilton, guitare
Eddie Jackson, basse
Scott Rockenfield, batterie
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